m’a tout dit, enfin ce qu’elle a voulu…
Renée avait 5 ans quand la guerre a éclaté. Très vite, papa et maman ont migré de Paris vers la côté d’Azur. De la guerre, elle n’en garde qu’un souvenir démarqué… Maman était d’origine américaine. Son grand père, sentant le vent tourner dès 1942, a invité la famille à le rejoindre à Memphis et à y faire travailler son gendre dans l’usine de papier familiale comme directeur adjoint.
Renée garde un souvenir heureux de cette jeunesse américaine dans le Sud : les virées en Buick Special Riviera d’un rouge étincelant et tout ce qui s’y passait sur la banquette arrière, me dit-elle, en clignant de l’oeil gauche.
Elle se sentait libre, d’autant plus que ses parents rendaient des mondanités presque chaque soir, la laissant libre de mouvement, mais elle ne ratait jamais, jamais (6 fois par semaine, 2h par émission) l’émission de radio « Red Hot & Blue » sur WHBQ de Dewey Phillips aka Daddy ‘O.
L’émission a été un succès dès le démarrage me dit-elle, non seulement par le choix éclectiques de disques noirs ou blancs (ça swinguait à cette époque, tu sais), mais surtout pour le style de Daddy’O.
« Avec son accent Hillbilly, il n’avait pas de couleur, c’était un fou furieux, libre de tout, il parlait à la vitesse de la lumière, hurlait comme un loup dans la nuit, gesticulait dans tous les sens, chantait sur les disques qu il passait, rebondissant sur tout, tel un coyote. Il captivait Memphis au delà des âges et des classes sociales, nous électrisait, nous rendait libres. ça partait dans tous les sens, on se doutait bien qu il ne suçait pas que de la glace, nous non plus (encore un clin d’œil). »
Un type comme çà, ne pouvait qu’être pote, qu’ avec une autre légende Sam Phillips.
La légende raconte que…
Le 5 juillet 1954, Sam Phillips enregistre le 1er 45t d’ Elvis, dans les studios Sun. Le lendemain, Sam amène à Daddy’O, deux acétates. Connaissant le bonhomme, il est anxieux de la réaction de Dewey, mais il aime le disque.
Début Juillet, Renée est devant son poste, Daddy’O passe le disque « That’s all right Ma ». Tout le monde tombe à la renverse, avec cette voix, cette musique et le rhum coca. Dewey passe le disque plusieurs fois d’affilée « it’s gonna be a hit », et invite Elvis à venir d’urgence à la radio pour être interviewé.
Comme tout le monde, Renée pense qu’ Elvis est noir, l’interview va révéler le lycée où il a étudié, Memphis comprend qu il ne l’est pas. La légende commence
https://youtu.be/ayjielvSIO8
Dewey va contribuer à son succès, il vont devenir amis. Avec leurs 9 années de différence, Daddy’o contribuera à l’éducation musicale d’Elvis. Il ne l’oubliera pas quand le succès arrivera. Il invite à Hollywood mais Dewey est une tête brulée, se moquant de conventions, n’en fait qu’à sa mode : se barre des projections de films auxquelles il est invité, se fait refaire les dents sur le compte d’Elvis, fait le pitre lors d’interventions, traite Yul Brynner de minus… Pittoresque.
Dewey le trahira en barbotant et diffusant « Teddy Bear » sans l’accord du label, rentrera en pleine nuit chez Elvis, un événement de plus qui contribuera à ce que le KIng vive dans une bulle, entourée de grands murs.
En 1958, après un court passage TV (ingérable), Daddy’O fut viré de la radio avec le scandale du payola. Il vivra encore dix ans, emporté par une crise cardiaque à 42 ans, ayant grignoté la vie par les deux bouts, sur des rivières d’alcool et des torrents d’amphétamines.
et la belle Renée dans tout çà ?
Elle s’est mariée peu de temps après, puis est revenue vivre en France, le reste est beaucoup moins drôle à raconter, me dit-elle.
Elle vit désormais seule et oubliée dans cette maison de retraite. Des années 50, il ne reste plus de souvenirs physiques, mais elle me raconte tout : les soirées, les disques, les dancings, les partie de jambes en l’air, le rhythm ‘n’ blues (elle déteste le terme Rock’n roll qu elle ne comprend pas), sa liberté.
Pour notre 3ème rencontre, je lui amené des cadeaux, ce disque, puis celui-là. Le son à fond dans la salle commune (pas un problème ici), l’elixir fait pleinement son effet, the walking dead, ça danse et ça remue, la libido en boutonnière.
Une fois le souffle retrouvé, je mets un bon vieux « Blue Moon » pour apaiser les esprits, mais l’effet inverse se produit, ça guinche collé-serré.
Un peu plus tard, on regarde quelques vieux trucs sur You Tube, mon dernier cadeau est un livre.
18h30, l’heure des nourritures terrestres a sonné. Quand je vois ma coquine de Renée manger à côté de sa bouche, tout cette journée semble irréelle…
Un baiser sur le front et je m’éclipse
PS : je me projette dans 40 ans, est-ce que tout çà aura la même saveur avec Pump up the jam ? pas sûr
Très bel article, merci pour le voyage dans le temps…
merci dju
J’avais pas prévu mes médicaments quand tu m’as propulsé à reculon dans le temps. T’as pas un Doliprane en 1000 mg STP ? Le voyage m’a filé la migraine, pourtant une première classe.. Un dingue ce Dewey… Cheers for that Darling.
à réécouter sur disque Dewey, c’est impressionnant