Ryuichi Sakamoto
Après 9 années sans un album solo, Ryuichi Sakamoto est de retour avec « Async ».
En 30 années, il n’y a jamais eu de temps mort, depuis YMO aux musiques de films, des dizaines d’étapes émaillées de collaborations multiples, variées et toujours profondément marquantes.
Une longue histoire d’amour
Notre 1ère rencontre eut lieu un été dans les années 80, chez mon oncle. Sur écran, ce film n’était pas de mon âge et pourtant il a changé ma vision de monde, il a façonné une partie de mes goûts.
Mon premier film japonais (pourtant le plus occidental), mon 1er Oshima, mon 1er coup de foudre pour les bandes originales, mon premier envoutement sur le timbre de David Sylvian, ma 1ère recontre avec Takeshi Kitano… Ces souvenirs sont intacts, ancrés dans la peau. Cet été-là, je me suis repassé des centaines de fois ces « Forbidden Colours » sur K7, usant ces mousses oranges.
Te voir et t’entendre, ce fut une expérience renversante. Pour la 1ère fois, la musique et la voix avaient une texture…
Puis, nous sommes quittés, j’avais d’autres territoires à explorer.
Tout entendre
Presque 10 ans plus tard, un de tes fans me demande si je connais ta musique, je reviens sur cette fameuse bande annonce. Il me fait comprendre que je ne connais rien et me ramène une pile de disques, homework.
Je reprends dans l’ordre, je me mets à bosser, de l’influence de Yellow magic orchestra (ce moment surréaliste chez Don Cornelius) sur la techno à tes albums solo, on va pouvoir vivre notre histoire d’amour.
Avec « Thousand life of », je comprends l’influence des tes loops (on est 1978!) et l’ivresse des vocoders. Quelle richesse du Korg au Moog.
Avec « B2 Unit », il me semble entrevoir un chainon manquant, japonais, entre Kraftwerk et le Krautrock. Au passage, tu viens juste d’inventer les bases de la jungle !
En réecoutant « Left Handed Dream », c’est amusant de se repasser du Metronomy entre autres, soir de relâche. Tu es une piste infinie, « The end of asia », te voilà à faire swinguer de la musique médiévale.
Ta fusion avec David Sylvian est lancée.
Avec « Coda », ce qui fera ton style se précise et s’installe
Je dévore cette « Illustrated Musical Encyclopedia » et craque littéralement pour ce « Tibetan dance », une de tes tueries.
En 1987, tu signes une bande originale majeure, « The Last Emperor ». Au delà du thème redoutable, le disque est une merveille sonore pour les oreilles, plein de délicatesse et de sons capables de réveiller les morts.
La même année, « NéoGeo », rock nippon percute à nouveau les frontières des genres, rêveries.
« Beauty » n’a jamais aussi bien porté son nom, tant chaque morceau est une merveille, ce Diabaram que je maitrise parfaitement en phonétique :
Une nouvelle bande annonce marquante pour « Un thé au sahara », avec un de tes thèmes les plus émouvants « The Sheltering sky ».
Tu donneras à Almodovar un écrin parfait, en peau de larmes, pour ses talons aiguilles, aux sœurs Bronte tu rendras hommage de manière parfaite, Wuthering Heights. A Siddhārtha, tu proposeras le thème du renoncement, Acceptance.
« Dischord » sublime pièce d’une heure, une bande originale sans film, BTTB un retour aux sources, Out of Noise dans la lignée mais plus minimaliste encore, UTAU en piano/voix avec Taeko Onuki,
Puis viendront les années de la réinvention, de la réinterprétation de tout ce travail :
- 1996, la perfection du trio au service de tes thèmes, un son charnel
- Cinemage, passage en cinemascope, cette version avec Sylvian est une de mes préférées
- Playing the piano, déchirant
- Playing Orchestra, bandant
- Three, on recommence mais on change tout
Au décours, il y aura cette idée de génie de revisiter un autre répertoire que le tien, celui de Jobim, avec la complicité de Jacques et Paula Morelenbaum : Casa, A day in new york. La rencontre d’âmes délicates et raffinées.
En paralèlle, il y aura tout ce travail avec Alva Noto, autour de la musique électronique et minimaliste, invitation au grand trip sensoriel, pour se rejoindre en apothéose sur la bande originale de « The Revenant ».
ASYNC
Nouvel album, composé comme la B.O d’un film imaginaire, il reprend toutes les images d’Andrei Tarkovski, avec la voix de Sylvian récitant les poemes du père, avec la voix de Paul Bowles comme ultime réflexion.
Ils ont dit un album d’ambient, ils se fourvoient. C’est juste toi, ton univers, tes sons, tes textures, ta palette impressionniste.
Je ne sais pas si c’est ton album idéal, ton chef d’œuvre avant de mourir. C’est un enchantement pour un divided world
Et puis…
Tu n’as jamais, mais jamais, cédé à la compression. Tes albums respectent l’auditeur, ils l’emmènent dans une expérience sensorielle unique, au bord des larmes.
Tu es mon Debussy, comme Claude est le tien.
Tu as vu, avant tout le monde, ce qu’internet allait faire à la musique, tu l’avais prédit, copyright ?
Depuis 20 ans, je n’ai pas passé une semaine sans t’écouter.
Dis moi que ce n’est pas le dernier…
Je pense à toi